mardi 16 novembre 2010

Le début de la renaissance culturelle syriaque au Kurdistan irakien


Du 6 au 9 septembre 2006, le premier Congrès mondial de Kurdologie fut organisé à Erbil par l’Institut kurde de Paris et par le Gouvernement du Kurdistan fédéral de l’Irak. Il se tint à l’université Salahadin.
J’eus l’honneur de participer à ce congrès et d’y intervenir. Je parlai de deux dynasties kurdes, brillantes et tolérantes, celle des Marwanides (983-1085) établie à Mayafarkin et celle des ‘Ayubides de la Djézira, en Haute Mésopotamie, avec le grand Malik al-Ashraf (+ 1237). Les chroniqueurs syriaques évoquèrent souvent les rapports cordiaux qu’entretenaient ces princes avec les chrétiens syriaques (jacobites et nestoriens) habitant la Haute Mésopotamie.



Permanence de la culture syriaque, culture du monde

Héritiers des vieux Mésopotamiens, fiers de leurs traditions, les Syriaques forgèrent une vision originale de l’homme et du monde. Au fil des siècles, prélats, clercs, médecins, philosophes et traducteurs célébrèrent la flamme du savoir. Ils montrèrent un attachement exceptionnel à l’étude et à leur langue. Ils fondèrent des écoles, réalisèrent des recueils, composèrent des poèmes, des hymnes, des chroniques. Ils participèrent au progrès des sciences, mathématique et astronomie.

Leur culture, riche de nombreux documents, manuscrits, vestiges archéologiques, inscriptions, fait partie des cultures du monde, des « humanités », comme les cultures grecque, égyptienne, romaine.

Hélas, depuis la création de l’État d’Irak en 1921, par manque de moyens et de liberté, la culture syriaque n’a pu s’épanouir et s’est étiolée.

Un début de renaissance

Lors de la révolte du grand leader kurde Mustafa Barzani en 1961, qui revendiquait l’autonomie, de nombreux villages chrétiens et kurdes du Nord furent dépeuplés, détruits par les gouvernements de Bagdad, les populations déplacées.

En 1991, lors de la guerre du Golfe, les Kurdes du Nord de l’Irak se soulevèrent. L’armée de Saddam Hussein les pourchassa jusqu’à la frontière turque. Les Américains et leurs alliés décrétèrent alors une zone de protection au Kurdistan, qui couvrait les départements de Dohuk, Erbil, Soulemanya. Les Kurdes irakiens commencèrent dès 1992 à s’auto- administrer, à créer des ministères.

Au ministère de l’Éducation Nationale, à partir de l’année scolaire 1993-1994, l’on prépara les programmes, les manuels.

Plusieurs écoles dans le département d’Erbil accueillirent les jeunes Assyro-Chaldéen-Syriaques.

Dans le département de Dohuk, en plus de l’enseignement des langues kurde et arabe, l’on ouvrit une section spéciale pour la langue syriaque. Dix-sept écoles primaires donnèrent tous leurs cours en syriaque, six autres écoles enseignèrent les différentes matières du programme en kurde, mais le syriaque demeura obligatoire.

Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, en 2003, le mouvement de renaissance prit un nouvel élan. Dans les villes et villages de la plaine de Ninive où résident une majorité d’Assyro-Chaldéen-Syriaques : Bagdeda (Qaraqoche), Bartella, Alqoche et Tell-Kaif, Karamless, Tell-Esqof, Batnaya et autres villages- des centres culturels et des écoles en langue syriaque virent encore vu le jour et commencèrent à s’organiser, à fonctionner, à promouvoir les études syriaques.

De nos jours, six grands lycées donnent leur enseignement dans toutes les matières en syriaque. Les linguistes rédigent des dictionnaires, arabe-syriaque et syriaque-arabe, dictionnaires spécialisés dans le vocabulaire des sciences modernes.

Aujourd’hui, les Assyro-Chaldéen-Syriaques du nord de l’Irak prennent conscience de la richesse de leur culture. Ils souhaitent réveiller l’intérêt de leurs enfants pour la science, la médecine, la philosophie, la grammaire, la littérature, l’histoire, l’art et le droit, bref pour leur patrimoine culturel. Ils veulent garder leur langue, le soureth, le syriaque moderne. Par contre, la langue liturgique reste le syriaque classique, langue utilisée depuis des siècles lors des célébrations religieuses.

Ankawa, un centre culturel flamboyant

Le congrès de Kurdologie terminé, je quittai Erbil et me rendis en voiture dans la ville chaldéenne d’Ankawa, toute proche, peuplée d’environ 20 000 habitants. Je voulais visiter le nouveau centre culturel. Je découvris une belle construction de trois étages. A l’entrée, j’aperçus une grande salle, ouverte au public, où étaient exposés les journaux et les magazines publiés en Irak et au Kurdistan. Un jeune garçon s’avança vers moi, pour m’accueillir et me proposa de m’accompagner dans ma visite.

À droite, s’ouvrait une vaste pièce de réception garnie de fauteuils en velours jaune d’or. J’y jetai un coup d’œil rapide. Sur le mur du fond trônait une toile représentant le grand chef kurde Mustapha Barzani.

Je sortis et regardai autour de moi. À gauche, s’alignaient plusieurs bureaux de gestion et d’administration.

Je montai avec le jeune garçon au premier étage, et pénétrai dans une salle équipée d’une dizaine d’ordinateurs. Je saluai des garçons et des filles, assis devant les écrans, qui travaillaient à la publication d’ouvrages et de revues.

Je me dirigeai vers la bibliothèque. Derrière son bureau, une jeune femme chaldéenne me fixait de ses yeux noirs. Je la saluai aussi et bavardai avec elle quelques instants. Elle se leva, délia lentement sa taille, et me montra sur les rayonnages, de beaux livres, écrits en syriaque, en kurde, en arabe, en anglais.

-Songez donc, me dit-elle avec fierté, que nous possédons 1788 ouvrages ! Nous venons d’acquérir plusieurs livres nouveaux, je m’applique à les cataloguer.

Je la félicitai.

Je passai rapidement dans la salle d’à-côté, une pièce destinée à la formation des acteurs, qui servait aussi de salle de musique orientale et occidentale.

Puis je gagnai le deuxième étage, où d’autres bureaux étaient réservés aux archives et à la gestion.

Toujours escorté de mon compagnon, je visitai un autre bâtiment qui contenait, au rez-de-chaussée, une grande salle de conférence et de réception de 600 mètres carrés au beau plafond travaillé : C’était l’Adiabène, la plus belle salle du Kurdistan. Garnie de rideaux de velours, elle pouvait accueillir 700 personnes et disposait de tout le confort et de l’air conditionné. Cette salle servait aussi de théâtre. L’on y avait joué plusieurs pièces, témoignant d’une véritable naissance du théâtre en langue syriaque.

Je suivis un escalier qui grimpait au premier étage vers une vaste cuisine et une élégante salle à manger, ouverte au personnel du centre et aux convives.

Au deuxième étage, à l’angle, j’aperçus des ouvriers qui terminaient la construction de six appartements destinés à loger les écrivains, les peintres, les artistes et les journalistes invités par le centre.

Je ne pouvais faire attendre davantage Jalal Marcos, le vice-président, qui m’attendait dans son bureau. Je vis un homme de taille moyenne, aux cheveux grisonnants, âgé d’une cinquantaine d’années. Sur son invitation, j’allai m’asseoir sur le divan. Je lui fis part de mon étonnement devant la beauté, l’ordre, l’harmonie qui régnaient dans l’espace culturel. Il me remercia gentiment. Devant lui, sur le bureau, il avait préparé des documents, pour me donner de plus amples précisions sur le centre d’Ankawa.

-À quelle date fut-il fondé, lui demandai-je ?
-Ce centre a été créé en 1998, me répondit Jalal Marcos.
-Qui le finance ? Qui le gère ?
Un calme sourire éclaira son visage.
-Le Ministre de l’Économie et des Finances du Kurdistan irakien, Sarkis Agajan.

Quant à la gestion, elle est assurée par l’« Association culturelle chaldéenne. » Dix personnes la dirigent et dix autres y travaillent comme employés.

Nous poursuivîmes la conversation. J’appris que l’on éditait dans ces locaux une revue de 128 pages, rédigée en langue syriaque, en arabe et en kurde, la revue trimestrielle Radya Caldaya. L’on y publiait un journal mensuel, Beth Ankawa, écrit en arabe et en syriaque.

Depuis peu, l’espace culturel avait accepté de publier aussi le grand journal kurde, Nawa. Chose remarquable, il y avait dans ce journal une page en langue syriaque.

Le centre possédait aussi une petite maison d’édition dédiée au grand savant chaldéen Addaï Scher, maison qui avait publié déjà une quinzaine d’ouvrages, afin de promouvoir la culture du peuple assyro-chaldéen-syriaque. Le directeur avait le projet d’installer une imprimerie et d’agrandir la maison d’édition.

Je songeai à l’imprimerie des Pères dominicains de la province ottomane de Mossoul, ouverte en 1859, puis fermée par les Turcs en 1914. Elle avait publié 350 livres en arabe et en syriaque, les avaient mis à la disposition des populations. J’avais le sentiment qu’environ un siècle après sa disparition, une nouvelle étape commençait pour les écrivains, les chercheurs, les journalistes issus du peuple assyro-chaldéen-syriaque. Ils pourraient donner un nouvel élan à leur culture.

Je remerciai Jalal Marcos et pris congé. Le comptable, les responsables des activités théâtrales et de la maison d’édition descendirent et vinrent me saluer avec cordialité.

-Nous espérons que vous n’allez pas oublier Ankawa et notre centre quand vous retrouverez les lumières de Paris !

Ma visite à Ankawa était terminée, j’avais l’impression que cette ville allait devenir la capitale culturelle de notre peuple.

Une halte au centre culturel de Dohuk

Je remontai en voiture pour me rendre à Dohuk, une ville située entre les chaînes montagneuses (Bekher et Shndokha) qui bordent la Turquie et la Syrie au Nord et à l’Ouest. Aujourd’hui, elle est peuplée de plus de 800 000 habitants, musulmans, chrétiens, yézidis. J’évoquai en pensée le célèbre écrivain syriaque Narsaï (399-503) qui était né au village voisin de Ma’altâ et qui avait fondé la brillante École de Nisibe, (une sorte d’université). Aujourd’hui, c’est un nouveau quartier de la ville.

J’arrivai à Dohuk au milieu de l’après-midi, je cherchai le célèbre centre culturel assyrien dont on m’avait parlé depuis des années. C’était un grand bâtiment bleu mauve, crénelé, décoré d’une inscription en syriaque.

A mon arrivée, le directeur Nissan Mirza, qui avait été prévenu, vint m’accueillir aimablement dans la cour avec son équipe. Nissam Mirza, un homme grand, brun, élancé était diplômé en gestion et en économie.

Il me reçut dans son bureau et fit apporter le thé. Avant que j’aie pu l’interroger, il me parla de la fondation de cet espace culturel.

- Le centre, le premier de la région, me dit-il tranquillement, a été fondé le 15 mars 1992, pour donner un nouvel essor à la culture, à la langue et au patrimoine de notre peuple assyro-chaldéen-syriaque. Il convenait de faire connaître nos écrivains et de les mettre en contact avec un autre peuple de la région, les Kurdes.

Depuis l’ouverture, nous organisons des stages de formation en langue syriaque, destinés aux élèves des écoles et collèges et aux enseignants. Des stages d’informatique attendent aussi les jeunes, afin de les familiariser avec l’ordinateur et Internet.

Chaque année, des expositions révèlent aux visiteurs, livres, œuvres d’art réalisées par des artistes syriaques. Quelques personnalités viennent donner des conférences à tous les auditeurs qui manifestent un intérêt pour le patrimoine syriaque.

Je demandai au directeur qui soutenait financièrement toutes ces activités culturelles, linguistiques, artistiques. Il me répondit que les dons arrivaient de la communauté assyrienne de Dohuk, mais aussi d’une association caritative assyrienne d’Amérique.

Ensuite, nous nous levâmes, pour sortir. Nissan Mirza me fit visiter le bâtiment, il me montra la grande salle de conférence, d’exposition, de fête. Elle était souvent louée pour les mariages, ce qui constituait une source de revenus pour le centre.

Puis il me conduisit à la bibliothèque, dotée de 1600 ouvrages en langue syriaque, arabe, kurde, anglaise et autres langues. De jeunes lecteurs, installés devant des tables, étaient plongés dans leurs livres, malgré la pénombre.

-Ils vont s’abîmer la vue, car l’endroit est mal éclairé, chuchotai-je au directeur. D’autre part, il me semble que les fauteuils bleus en plastique sont trop modestes et plutôt inconfortables.

Il me répliqua en souriant :
-Vous avez raison. Nous avons, depuis un moment, pris conscience du problème. Nous avons entrepris la construction d’une nouvelle bibliothèque plus spacieuse, garnie de belles fenêtres.

À présent, Nissan Mirza désirait me montrer le bureau de la rédaction de la revue Kukhwa Beth Nahrain, L’étoile de la Mésopotamie. Créée le premier décembre 1992, elle paraissait chaque trimestre, en langue syriaque et en arabe. Elle contenait 132 pages et était financée par des bienfaiteurs assyriens.

Dès l’entrée, Nissan Mirza me présenta au directeur de la publication, Farid Yacoub, et à son équipe. Je feuilletai rapidement un numéro, puis félicitai Farid Yacoub sur la présentation, la couverture de papier glacé, ornée de photos en couleur, la mise en page et les beaux caractères syriaques.

–Vous avez réalisé un travail formidable, lui dis-je avec enthousiasme !
-Notre peuple a une expérience bien ancrée dans ce domaine, création de journaux, de revues, de magazines, m’expliqua Farid. Déjà en 1849, les Assyriens de Ourmia en Iran avaient lancé le magazine Zahrira de Behrea (Le rayon de lumière.)

Pour terminer la visite du centre, Nissan Mirza me présenta la maison d’édition et la quinzaine d’ouvrages publiés.
-Nous jouissons maintenant d’une grande liberté, m’annonça-t-il, aussi avons-nous beaucoup de projets, et l’ambition de rééditer les écrits de nos pères, méconnus par notre peuple.
Il se tourna vers moi et poursuivit :
-J’espère qu’un jour nous aurons le plaisir de traduire en syriaque et de publier l’un de vos ouvrages. Votre livre intitulé « L’épopée du Tigre et de l’Euphrate » nous intéresse particulièrement.
-J’en serai ravi, lui répondis-je.

Il m’offrit quelques livres. Je le remerciai de tout cœur pour ce geste amical.


Un remarquable lycée à Dohuk

Je ne pouvais passer à Dohuk sans aller voir le Lycée français dont voici l’histoire.

Il y a une dizaine d’années, le prince Rainier de Monaco avait voulu créer une antenne humanitaire à Dohuk, pour aider l’Enfance et la Jeunesse. Ce projet, confié à l’énergique Monseigneur Rabban, l’évêque d’Amadia, mûrit peu à peu ; il aboutit à la fondation d’un Lycée français. Les autorités du Kurdistan, avec l’aide de la ville de Dohuk, accordèrent un terrain, la construction commença. Le Lycée fut inauguré solennellement.

Je rencontrai le directeur, Wahid, un Kurde musulman, homme cultivé, humaniste et ouvert.
-L’établissement, moderne et beau, accueille aujourd’hui 280 élèves, garçons et filles de bon niveau, en option scientifique, m’apprit-il. Son but est de former des cadres pour le pays, qui soient de toutes religions et de toutes confessions, kurde, assyro-chaldéenne, arménienne, yezidie. L’enseignement y est gratuit.

Wahid m’apprit que d’excellents professeurs travaillaient au lycée, et le français y était enseigné.

L’enseignement du syriaque était obligatoire : des Assyro-Chaldéen-Syriaques étaient inscrits aux cours, mais des Arméniens, des Kurdes venaient aussi y assister, désireux d’apprendre cette langue prestigieuse, deux fois millénaire.

À la fin de ma visite, j’avisai un bâtiment en construction de 5 étages.

Le directeur voulut bien m’éclairer :
– C’est le futur internat de 50 studios, équipés de toutes commodités et d’ordinateurs. Les élèves y seront accueillis gracieusement. Au rez-de-chaussée, l’on a prévu un restaurant et une vaste salle de conférence.

Il faisait chaud et Wahid m’emmena dans son bureau où il fit apporter des boissons fraîches. À ce moment, le téléphone portable sonna. C’était Monseigneur Rabban, qui s’excusait de ne pouvoir me rencontrer. Il n’avait pas été mis au courant de ma visite et se trouvait à Amadia. Il renouvelait ses remerciements pour les centaines de livres que notre délégation de kurdologues avait apporté de Paris pour la bibliothèque du lycée.


Hîzil : le centre culturel et social de Zakho

Je vins séjourner quelques jours à Zakho, ville d’environ 280 000 habitants. Elle était assise au bord du Khabour, à 40 kilomètres environ au nord ouest de Dohuk, à la frontière turque. Des Kurdes, des Chaldéens, des Arméniens la peuplaient. C’était ma région natale.

Je songeai au Père Campanile, dominicain italien, nommé préfet apostolique pour la Mésopotamie et le Kurdistan en 1809, qui visita et aima Zakho. N’écrivit-il pas :

« De toutes les malheureuses villes du Bahdinan, Zakho est la plus gracieuse et la plus agréable. Elle est située sur une pente douce et forme une île entourée par le Khabour qui, à peu de distance de Zakho, s’unit à quelques ramifications du Hîzil. Elle est au milieu d’une très belle tranchée de collines, toutes revêtues d’herbes vertes, qui forment des perspectives pittoresques et délicieuses. Les petits jardins qui l’environnent la rendent de beaucoup plus joyeuse et riante. Elle est riche et commerçante. Les négociants s’y rendent de presque tout le Kurdistan et la Mésopotamie ; ils y achètent et y vendent de multiples marchandises.
Ses produits sont : les noix de galle, qu’on estime être les meilleures de tous les autres coins du Kurdistan, le riz, la cire, le miel, l’huile, le sésame, le sumac, le raisin sec, les lentilles et beaucoup de fruits. Il y a aussi des mines de sulfate très célèbres. » in : Histoire du Kurdistan.

Deux siècles avaient passé mais Zakho avait conservé son charme et son dynamisme. Dès mon arrivée, j’allai voir le vieux pont de pierres, le célèbre pont Dalal, datant probablement de l’époque romaine. Je me rendis compte qu’il était dans un état pitoyable et qu’il avait besoin d’une rapide restauration. Inquiet, j’entrais en contact avec Kanan Mufti, le directeur des Antiquités du Kurdistan autonome, grâce au téléphone portable, et je l’alertai sur le danger d’un effondrement. Il me promit de prendre des mesures, en vue d’une restauration.

Après quelques jours de repos chez mes parents et amis, je partis visiter à l’improviste le centre culturel et social, situé au centre de la ville, près de l’évêché chaldéen.

Je demandai aussitôt à rencontrer le directeur. Surpris, je vis venir vers moi Amir Goga, un ami d’enfance et de jeunesse, perdu de vue depuis longtemps. Il avait pris de l’âge comme moi, ses cheveux avaient blanchi en partie, mais il avait gardé son entrain, son enthousiasme.
-Je suis heureux de vous voir. Vous êtes revenu au pays, après toutes ces années ?

Il prit place à côté de moi sur le divan. Nous échangeâmes des souvenirs, racontâmes quelques blagues en soureth de la région, puis je fis glisser la conversation.
- Parlez-moi de vos activités culturelles et sociales. J’ai entendu dire grand bien de votre centre depuis mon arrivée à Zakho.

-C’est une véritable entreprise, me répondit Amir Goga. Quatre-vingt-trois employés y travaillent.

Sur le plan social et humanitaire, il y a beaucoup à faire. De nombreuses personnes se présentent chaque jour au dispensaire, sollicitant des aides de toutes sortes. Elles sont soignées gratuitement et reçoivent des médicaments. Le centre offre une allocation mensuelle à 912 familles chrétiennes, émigrées de Mossoul et de Bagdad et à 570 autres familles nécessiteuses de la région.
Sur le plan culturel, le centre publie en kurde et en arabe une revue de bonne qualité intitulée Hîzil. Les auteurs, les artistes de la province de Zakho peuvent ainsi promouvoir leur patrimoine.


Sanate

Le directeur se leva et prit sur son bureau le premier numéro de la revue. Je l’ouvris et ô surprise, j’aperçus au dos de la couverture une photo ancienne de mon village natal, Sanate. Quelle émotion !
-Mille mercis, pour Sanate et ses fils, lançai-je avec un sourire.

Amir Goga reprit le fil de la conversation :

– Toujours dans ce domaine culturel, une petite équipe est chargée d’animer une radio, qui diffuse ses émissions en langue syriaque, kurde, arabe et arménienne, de huit heures et demie du matin à vingt et une heures trente. Les auditeurs peuvent écouter des informations, de la musique, des chansons. Une autre équipe s’occupe de l’initiation des jeunes à l’informatique, de leur formation. Elle dispose à Zakho et dans la région de 5 centres équipés d’ordinateurs, offrant l’accès à l’Internet.

Puis Amir Goga me parla, avec beaucoup de verve et de sensibilité, d’un projet qui lui tenait à cœur : la reconstruction des villages chrétiens détruits et rasés par l’ancien régime baassiste de l’Irak, comme Peshkhabour, Deraboun, Bajida, Karaoula, Charanes, Deschtatar et autres. Bien alimentées en eau, en électricité, 650 maisons avaient déjà été reconstruites, et 250 attendaient la fin des travaux. Huit écoles et onze salles communales ouvraient leurs portes. L’évêché se chargeait de rebâtir les églises.

J’étais impressionné par l’ampleur de la tâche et demandai au directeur s’il n’était pas à l’étroit dans ces murs.
– En effet, me répondit-il, les locaux sont trop exigus maintenant, mais nous sommes sur le point d’acheter un terrain à l’entrée de la ville pour bâtir un plus grand centre, en vue de toutes nos activités culturelles et sociales. Le gouvernement fédéral du Kurdistan, dirigé par le Premier Ministre Nechirvan Barzani, secondé du Ministre de l’Économie, Sarkis Agajan, continue à financer tous nos projets.

Il se faisait tard, je quittai mon ami, le louant pour son dynamisme et son dévouement.

Rentré chez moi à Paris, je réfléchis à tout ce que j’avais vu et l’espoir brilla dans mon cœur.

Je repensai à mes visites à ces différents centres culturels du Kurdistan irakien, aux personnes que j’avais rencontrées, aux entretiens que j’avais pu avoir avec les responsables de la région. J’eus le sentiment d’un début de renaissance de la culture assyro-chaldéenne-syriaque et de la langue syriaque. J’en avais vu les signes.


J’espère qu’un jour, une Université syriaque naîtra, pour la plus grande joie des nouvelles générations. Ai-je le droit de rêver ?